vendredi 15 avril 2011

QU’EST-CE QU’UN LAMA ?

QU’EST-CE QU’UN LAMA

Padmasambhava ou Guru Rinpoché


QU’EST-CE QU’UN LAMA?

Dans le bouddhisme tibétain, le maître spirituel (tib. lama ; skt. guru) joue un rôle central. L’étudiant pratique d’après les instructions données par tel ou tel lama qui, lui-même, a été l’étudiant d’un autre lama, etc. En particulier, la tradition du Dzogchen affirme très clairement que plus les enseignements sont profonds plus le rôle du maître spirituel est central dans le chemin de l’étudiant.

Un choix important

Nous n’avons pas vraiment l’équivalent de l’idée du lama dans notre culture contemporaine[i], par contre nous avons de nombreux exemples de charlatanisme qui peuvent nous prévenir contre l’idée de suivre un maître spirituel. Si nous avons cette réserve, c’est tout à fait sain car, suivre une voie spirituelle engage notre cheminement vers le cœur même de notre être. Notre responsabilité est donc de vérifier que nous avons bien affaire à un maître spirituel authentique qui puisse effectivement nous guider dans ce voyage. Les lignes qui suivent se proposent d’offrir quelques éléments de réflexion sur ce qu’est un lama, comment s’assurer de son authenticité et de quelle nature est la relation que l’étudiant peut entretenir avec lui.

Le chemin spirituel

Il me semble que pour bien comprendre le rôle du maître, il faille revenir à ce qu’est le chemin spirituel, en particulier dans la perspective du Dzogchen. Ces enseignements disent que la sagesse est nôtre de façon inconditionnelle. Elle est notre nature véritable : la sagesse dont la compassion rayonne sans effort.

Dans l’absolu[ii] il n’y a rien à réaliser puisque tout est déjà là, déjà parfait, déjà complet (Dzopachenpo = grande complétude). Mais nous ne réalisons pas cela et, à la place, nous fabriquons une image illusoire de nous-mêmes : ce en quoi consiste le relatif[iii]. Parce qu’il existe alors pour nous un décalage entre notre vision de la réalité et la réalité elle-même, nous souffrons. Cette souffrance à ceci de bon qu’elle peut être l’occasion d’une prise de conscience du caractère inadéquat, incomplet, frustrant de cette construction[iv]. Et c’est ainsi que peut s’ouvrir le chemin spirituel, lequel vise la coïncidence de l’absolu et du relatif. En effet, pour un bouddha (c’est-à-dire quelqu’un qui a complètement réalisé le chemin) la réalité apparaît (relatif) telle qu’elle est (absolu). Le hiatus, cause de souffrance, n’existe plus. C’est ainsi que les nombreux moyens habiles du chemin spirituel viennent nous chercher exactement là où nous nous trouvons dans notre errance (relatif) pour nous nous mener exactement à ce que nous sommes (absolu). Par exemple, puisque l’esprit illusionné à l’habitude d’être distrait par la poursuite de multiples objets extérieurs (relatif) les instructions de méditation lui donnent un seul objet sur lequel poser son attention (moyen habile) pour qu’il retrouve graduellement la paix et sa clarté de sa vraie nature (absolu). On pourrait ainsi décrire tout le chemin spirituel comme un jeu subtil entre l’absolu et le relatif se concluant par la reconnaissance de leur unité.

Une bonté insurpassable

Parmi ces moyens habiles qui nous permettent de réaliser notre véritable nature, il en est un qui est particulièrement puissant et central : le maître spirituel. Il est au cœur de ce jeu entre l’absolu et le relatif. Il est dit que la bonté du lama est insurpassable, qu’elle dépasse même celle du Bouddha. Pourquoi cela ? Parce que le maître est avec nous, dans notre condition relative, pour nous montrer le visage de notre nature absolue. Cette nature absolue est nôtre, elle est même ce qu’il y a de plus authentiquement et intimement nôtre. Mais nous ne la voyons pas tout comme nous ne voyons pas notre visage : il nous faut un miroir. Ce miroir, c’est le maître. Son rôle est, par son enseignement, par ses actes, ses paroles, par son être même, de nous aider à découvrir ce qui est là, en nous, de façon intemporelle et inconditionnée : la nature de l’esprit, la nature de Bouddha, cette vaste et lumineuse essence. On pourrait ainsi dire que se tourner vers son esprit vers l’esprit de sagesse du maître extérieur c’est se donner l’occasion de découvrir son maître intérieur, la véritable nature de notre esprit.


Sogyal Rinpoché (Photo credit : Jeroen Top)


Trois maîtres spirituels

Le premier maître spirituel que j’ai rencontré fut Lama Guendune Rinpoché. Il rayonnait d’amour et de sagesse, semblait à la fois de ce monde et au-delà de celui-ci. Avec ce lama, j’ai vu que l’Éveil pouvait être humainement réalisé. Avec Sogyal Rinpoché, j’ai découvert un lama qui entrait en relation très directement avec la réalité de ses étudiants pour leur en révéler la nature véritable. Cette bonté inouïe, qui prend un soin infatigable pour donner à chacun l’occasion de découvrir sa nature véritable, m’a profondément touché et incité à suivre le chemin qu’il proposait. J’ai aussi eu le bonheur de rencontrer un des maîtres de Sogyal Rinpoché : Nyoshul Khenpo Rinpoché, ce lama plein d’humour, à la fois très érudit et très direct dans sa manière d’enseigner, cet être qui semblait le Dzogchen personnifié.

La dévotion

Il n’y a pas de notion de hiérarchie ou de dualité avec le maître comme si nous étions petits et lui immense : en se tournant vers lui on revient à soi-même, au plus profond de soi-même. La fascination pour la personnalité du maître, si charismatique soit-il, n’est donc pas suffisante. L’attrait pour ce qui apparaît comme exotique, magique ou ésotérique peut n’être qu’une distraction qui nous fait déserter notre réalité. Un maître authentique nous permet l’accès à cette réalité dans toute sa richesse plutôt que de nous faire miroiter des arrières mondes. Le rapport avec le lama n’est pas de fascination, mais de conscience et de reconnaissance de ce qui est. Il nous rend à nous-mêmes, comme un ami qui nous réveillerait au milieu d’un cauchemar nous rend à notre réalité. Il est le maître extérieur qui permet au maître intérieur (la nature de notre esprit) de rayonner de nouveau. Il n’y a pas de dualité dans rencontre d’esprit à esprit. Un lien du cœur se crée à la fois profondément humain et profondément sacré. C’est cela que l’on appelle la dévotion.


Nyoshul Khenpo Rinpoché

Choisir son maître

Il est important de prendre le temps d’examiner le maître spirituel et de vérifier qu’il a les qualités de bonté, de sagesse, de service désintéressé de l’enseignement et des êtres qui nous donnerons la confiance nécessaire pour recevoir pleinement ses enseignements.

Qu’est-ce qui légitime le maître en tant que tel? D’abord, le fait d’être un disciple avant d’être un maître. Le lama a lui-même un ou plusieurs maîtres dont il a suivi et suit les enseignements. C’est avec l’autorisation et la bénédiction de ses maîtres qu’il enseigne. C’est la lignée qui garantit l’authenticité et le caractère vivant de la transmission des enseignements : ceux-ci prennent leur source dans la tradition tout en étant toujours adaptés au temps dans lesquels ils sont donnés.

Fondamentalement, ce qui importe le plus et garantit son authenticité est sa fidélité à la vérité des enseignements :« Fiez-vous au message du maître, non à sa personnalité ; fiez-vous au sens, non aux mots seuls; fiez-vous au sens ultime, non au sens relatif; fiez-vous à votre esprit de sagesse, non à votre esprit ordinaire qui juge. » comme l’a dit le Bouddha[v].

C’est sur la base de cet examen des qualités du maître que la relation peut s’établir, mais comment décrire cette dernière?

Dans le vif

C’est un processus dynamique : la relation avec le maître ne ressemble à aucune autre, en ce sens qu’on ne peut pas s’appuyer sur des schémas bien établis que l’on répéterait ensuite sans fin, de façon à donner l’impression d’une pseudo stabilité. Avec lui on est toujours dans le vif, car son action est en phase avec le présent, avec ce qui est. Il s’enracine dans le réel avec toute sa richesse et ses multiples facettes.

C’est ainsi que le maître s’adresse à la nature absolue de ses étudiants, mais aussi à leur condition relative. Le maître indien Atisha disait que « le meilleur maître est celui qui attaque le mieux les fautes cachées ». Celles-ci sont les nuages nous empêchant de voir le ciel immense et lumineux de notre nature véritable, aussi le rôle du maître est il de montrer aussi bien le ciel que les nuages et comment dissiper ces derniers.

Ainsi, lorsqu’il donne des enseignements, il ne transmet pas une simple technique, mais la saveur, presque déjà le fruit de la pratique. En ce sens le maître spirituel est comme un raccourci : en enseignant, il peut déjà donner à ressentir ce qui ne pourrait être que le résultat de longues années de pratique. Il va directement au cœur du sujet, nous évitant les pièges des mécompréhensions, de l’intellectualisme, du sentimentalisme, du ritualisme, du formalisme, etc. qui pourraient autrement altérer, voir empêcher notre compréhension des enseignements du Bouddha.

Ses enseignements sont toujours à la fois conformes à la tradition venue du Bouddha et adaptés au présent dans lequel ils se donnent. En ce sens, il ne cesse de réinventer la tradition, en faisant une réalité vivante. Les grands maîtres qui ont apportés le Bouddhisme au Tibet comme Guru Rinpoché, Vimalimitra, etc puis Atisha, Marpa, etc. ont transmis le Dharma pour en faire une réalité tibétaine, comme des maîtres contemporains comme Trungpa Rinpoché, Thartang Tulku, ou Sogyal Rinpoché ont oeuvré à transmettre le Dharma pour les occidentaux.

Pour continuer la réflexion :

En conclusion, je dirais que la question de comprendre ce qu’est le lama est aussi potentiellement libératrice que source possible de confusion. Il est donc important, pour quiconque entend suivre cette voie du Dzogchen, de comprendre de façon juste ce que l’on entend exactement par lama. J’espère que ces quelques éléments de réflexion auront pu être utiles dans ce sens. Cet article est évidemment trop court pour un aussi vaste sujet, aussi pour continuer à l’étudier, je vous suggère la lecture des ouvrages suivants :

Sogyal Rinpoché, Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort, Le Livre de Poche.

En particulier, pour le chapitre neuf où il est question de ce qu’est un maître spirituel.

Dilgo Khyentsé Rinpoché, La Fontaîne de Grâce, Padmakara.

Où il est question de la place centrale du lama sur le chemin spirituel.

Tulku Thondup, Les Maîtres de la grande perfection, Le Courrier du Livre.

Qui donne de nombreux exemples de relation maître spirituel/étudiant en racontant l’histoire de la lignée du Longchen Nyingthik.

Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme, Seuil.

Pour les articles « maître spirituel» et « trois racines».

Mars 2011

Sudhana


[i] Par contre, dans la culture occidentale plus ancienne, on peut trouver des équivalents avec des personnages tels que Maître Eckhart.

[ii] C’est-à-dire la réalité telle qu’elle est.

[iii] C’est-à-dire la réalité telle qu’elle apparaît.

[iv] Par analogie, on pourrait dire que lorsque l’on brûle sa main à une flamme, on ressent de la souffrance, mais que le plus important alors n’est pas cette souffrance en soi, mais la conscience aigue dont elle est le véhicule : il faut retirer sa main de la flamme !

[v] Cité dans Sogyal Rinpoché, Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort, Le Livre de Poche, p. 251.