mercredi 11 novembre 2009

LE LIVRE DES MORTS TIBETAIN de Padmasambhava


C’est un ouvrage étrange et passionnant qui nous parvient aujourd’hui plus de treize siècles après avoir été composé par le grand saint et mystique Indien Padmasambhava qui apporta le bouddhisme au Tibet au VIIIe siècle, et sa découverte au XIVe siècle par le yogi Karma Lingpa.
Le « Bardo Thödröl Chenmo », plus connu en Occident sous le titre « Le livre des morts tibétain » est enfin entièrement disponible en français grâce à la traduction de Philippe Cornu, enseignant à l’INALCO (Langues O) et auteur de plusieurs ouvrages sur le bouddhisme dont en particulier le « Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme ». L’intérêt de cette traduction est non seulement de fournir pour la première fois en français l’ensemble des textes qui composent le Bardo Thödröl, mais aussi, grâce à la préface de Mathieux Ricard et aux explications de Philippe Cornu, de replacer cet ouvrage au cœur de sa perceptive spirituelle véritable, c’est à dire sa relation avec les tantras anciens et le dzogchen. L’ouvrage fourmille en effet de clefs pour comprendre les aspects complexes de la conception philosophique et des pratiques du bouddhisme tibétain. L’introduction générale et les présentations qui précèdent chaque chapitre sont particulièrement éclairantes à la fois pour les néophytes désireux de découvrir cet ouvrage fondamental et pour les pratiquants du tantrisme et du dzogchen.

« Le livre des morts tibétain » est un cycle d’enseignements sur ce que l’on pourrait appeler les entre-deux, ou les intervalles, qui rythment notre existence, de notre naissance aux états post mortel. Selon la conception du bouddhisme vajrayana, l’existence se divise en une série de périodes qui offrent des opportunités pour échapper aux souffrances du samsara et avancer sur la voie de la libération. Après la mort physique et la dissolution des éléments fondamentaux, un autre voyage commence pour le continuum d’expériences qui constituent notre conscience. Ce flux d’expériences formé à partir de notre karma passe alors par plusieurs étapes que le Bardo Thödröl décrit avec force détails. La claire lumière fondamentale émerge dans la conscience du défunt suivie par les sons, lumières et rayons, puis les visions des déités paisibles et courroucées. C’est le bardo de la réalité. Bien que ces déités ne représentent que l’aspect de calme et de mouvement de l’esprit, leur déploiement constitue pour les individus qui ne s’y sont entrainés de leur vivant une expérience terrifiante et dramatique. Enfin, la conscience se retrouve sous la forme d’un corps mental dans l’état du bardo du devenir où elle erre pendant une période pouvant aller jusqu’à sept semaines avant de s’incarner à nouveau dans l’un des six modes d’existence du samsara en fonction de ses propensions karmiques.
Pourtant, loin de proposer uniquement une description des états post mortel, le Bardo Thödröl expose aussi un ensemble de pratiques spirituelles extrêmement puissantes pour se préparer dès maintenant à affronter le moment de vérité que constitue notre mort.
Le livre comporte ainsi des pratiques de Guru Yoga, de purification associant les cent déités paisibles et courroucées sous la forme de saddhanas de type Mahayoga ou Anuyoga et des pratiques de confession.
Un des chapitres les plus mystérieux du cycle est sans nulle doute celui décrivant les signes annonciateurs de la mort. Ces signes, qui vont de l’observation de la forme de son ombre dans le ciel à plusieurs signes physiques ou comportementaux, présentent un grand intérêt pour les pratiquants des tantras et du dzogchen. S’il les remarque, le yogi pourra tenter un certain nombre de rituels visant à repousser une mort prématurée. Ces méthodes, comme la formation d’une effigie de terre glaise avec des éléments du corps, ressemblent à s’y méprendre à une forme de coup du bonneteau pour leurrer à la mort. D’ailleurs, la section détaillant ces méthodes s’intitule « Tromper la mort, la libération naturelle de la peur ». Mais dans le cas où les rituels échouent, la mort est certaine ; il faut se préparer à partir.

Le chapitre sur « La libération naturelle de l’attention par le transfert de conscience » aborde trois sortes de pratique de transfert de conscience ou p’owa (transfert du dharmakaya, du sambhogakaya et du nirmanakaya) dans leur aspect d’entraînement durant la vie et leur aspect effectif, c’est à dire au moment crucial de la mort. Il est évidemment fondamental de s’être entraîné sa vie durant à la pratique du Guru Yoga, l’intégration avec l’état du maître, ou au transfert dans la déité d’élection. Pour autant, le texte mentionne des possibilités pour les personnes ignorantes de toute pratique et au karma très lourd. Il faut alors prononcer à haute voix à leur intention le nom du bouddha Ratnashikhin qui a fait jadis la promesse de libérer des destinées inférieures tous ceux qui entendraient son nom au moment de mourir.

Enfin, dans la conclusion rédigée par le traducteur, « Le livre des morts tibétain » dévoile son ultime secret, celui d’une perspective de l’existence totalement renouvelée qui dépasse de loin le cadre étroit de cette vie au demeurant bien trop courte. Le message fondamental que nous adresse Padmasambhava par delà les siècles est qu’il nous est possible d’atteindre la liberté de l’Eveil et que nous pouvons nous affranchir à jamais de la souffrance. Il nous faut pour cela reconnaître la vraie nature de notre esprit et apprendre à y demeurer. En suivant les conseils d’un maître authentique, symbole et incarnation de notre nature lumineuse, et en appliquant avec diligence les enseignements tantriques et dzogchen, nous pourrons finalement parvenir à l’Eveil afin de secourir tous les êtres prisonniers du samsara.

Marc Sinclair

LE LIVRE DES MORTS TIBETAIN. Bardo Thödröl Chenmo
Padmasambhava
Edition Buchet-Chastel, 35 euros, 779 pages.