samedi 26 décembre 2009

Art et spiritualité au pays du Dragon

Exposition « Au pays du Dragon : arts sacrés du Bhoutan »

Nimbé dans ses palais de nuages et ses mystères, le Bhoutan exerce depuis des années une puissante fascination sur l’Occident. Seul pays officiellement bouddhiste de la planète, il prône un modèle de développement basé sur une ouverture graduelle sur le reste du monde, illustré par le fameux indicateur du BNB, le Bonheur national brut, qui entend mesurer le niveau de satisfaction de la population plutôt que le niveau de richesse nationale.

Unifié au XVIIe siècle par un moine tibétain, Shabrung Ngawang Namgyal (1594-1651), le Bhoutan porte en tibétain le nom de « Drukgyul » ou pays du Dragon, en raison de sa connexion avec la lignée Drukpa Kagyu, une des quatre écoles principales du bouddhisme tibétain.

Une exposition nous permet aujourd’hui de connaître un peu plus son art intimement lié au Bouddhisme Vajrayana, pratiqué par l’immense majorité de la population. Les œuvres, exposées au Musée Guimet, représentent un témoignage étonnant de la richesse spirituelle et artistique de ce petit pays caché au cœur de l’Himalaya.

L’exposition commence par une série de photographies de Mathieu Ricard, moine bouddhiste, auteur et traducteur du Dalaï Lama, qui a séjourné pendant de nombreuses années au Bhoutan. On peut voir, par exemple, une magnifique photo de son maître racine Dilgo Khyensé Rinpoché (1910-1991) en habits de cérémonie, tenant clochette et vajra, sur un balcon de Taktsang. Mathieu Ricard a aussi capturé le mouvement des danseurs à coiffe noire virevoltant au rythme des tambours sur le parvis du monastère de Tronga.


Parmi les œuvres les plus fascinantes exposées, se trouve une magnifique thangka illustrant les cinq familles de bouddha, ou cinq Jina, au milieu de formes sphériques. Ces cinq bouddhas (Vairocana, Vajrasattva-Aksobhya, Ratnasambhava, Amitabha, Amoghasiddhi) représentent en réalité chacun une qualité de l’Éveil : la sagesse de l’Espace absolu, Semblable au miroir, Égalité, Discernement et Toute accomplissante. Liée à un cycle terma (trésor spirituel révélé), comme le montrent les inscriptions en écriture des dakinis, cette thangka, couverte de symboles et de mantras, est une libération par la vue (tib, mthong-grol). Toute personne qui la voit est assurée, dit-on, d’être un jour libérée du samsara, le cycle des existences conditionnées.

Dans la première pièce, on peut aussi voir deux peintures d’une grande qualité du cycle des Jataka, les histoires des vies passées du Bouddha. Ces histoires illustrent la sagesse, la compassion et les méthodes mises en œuvre par le futur Bouddha Shakyamuni pendant ses existences antérieures, elles sont traditionnellement contées aux enfants sous forme de récits édifiants.

Un peu plus loin, on aperçoit des thangkas, montrant les yidams ou déitées de méditation de l’école Kagyu au centre de leur mandala, comme Çakrasambhava ou Vajradakini. Elles sont surmontées du bouddha Vajradara et des maîtres de la lignée : Tilopa (avec son poisson), Naropa, Marpa, Milarepa.

De nombreuses et magnifiques statues en bronze rythment l’exposition. Tara verte, dit la Salvatrice, parfois surnommée la Vierge Marie des bouddhistes, ornée de petites turquoises avec sa main ouverte dans le geste du don. Padmasambhava, le Né du lotus, magicien et saint indien qui introduit le Bouddhisme au Tibet, avec ses deux épouses mystiques, Mandarava et Yeshé Tsogyal. Drukpa Kunley, surnommé le « Fou divin », grand mystique aux habitudes libertines, capturé en train de jouer du dramyen, une sorte de luth, probablement occupé à conter fleurette à une belle inconnue.

En résumé, cette exposition réunit une collection unique d’œuvres destinées, à l’origine, à inspirer les pratiquants du Vajarayana sur leur cheminement spirituel. Pour en apprécier pleinement le contenu, il est préférable de connaître le cadre spirituel et historique du Bouddhisme tibétain. Pour autant, l’incroyable qualité artistique de ces œuvres ne manquera pas d’éblouir tous les visiteurs.

Jusqu’au 25 janvier 2010 au Musée Guimet à Paris
Site internet : http://www.guimet.fr/

dimanche 13 décembre 2009

Tsoknyi Rinpoché en France

Tsoknyi Rinpoché est un des fils de Tulku Orgyen Rinpoché (1920-1996), grand maître de la tradition Nyingma et Kagyu.

Trois semaines avant la fin de la retraite de trois ans, qui s’est achevée le 21 novembre 2009, Tsoknyi Rinpoché est venu à Lérab Ling pour donner un enseignement sur des points clefs de la tradition Dzogchen, décrire les possibles chausse-trapes qui guettent les pratiquants même avancés du Vajrayana et répondre aux nombreuses questions des étudiants de Rigpa. Le tout avec une grande honnêteté et un sens de l’humour à la Buster Keaton.



Ses explications sur le corps subtil – réceptacle de notre dimension énergétique si souvent perturbée par la vie moderne – ont été tout particulièrement remarquées. Il a d’ailleurs annoncé la publication prochaine d’un ouvrage sur ce sujet.


Arcs-en-ciel

La visite de Tsoknyi Rinpoché à Lérab Ling dans le sud de la France a coïncidé avec l’apparition d’arcs-en-ciel au dessus de la vallée pendant plusieurs jours.



Une évocation de Nyoshul Khen Rinpoché

Lors son dernier enseignement, Tsoknyi Rinpoché a évoqué le grand yogi et érudit dzogchen Nyoshul Khen Rinpoché (1932-1999) :

« Quand Nyoshul Khen Rinpoché parlait des enseignements Dzogchen, il disait: “ Ils sont ma fortune, ils sont mon temple. Ces enseignements sont ma vraie richesse, ma véritable fortune. C’est ma gompa, c’est ma communauté de pratiquants de la sangha. C’est juste cela, la chose qui a la plus de valeur. C’est mon héritage le plus précieux.” Puis, il m’a dit: “ Maintenant je te le confie, en conséquence, garde-le de la même manière. Dans ce monde, c’est la chose la plus précieuse. Maintenant, je te le donne, s’il te plaît, garde-le bien, conserve-le bien. Pratique-le.”

Quand on demeurait en présence de Nyoshul Khen Rinpoché, il avait la capacité en quelque sorte de transformer votre système de valeur, on pourrait dire que tout le reste n’avait plus d’importance véritable, que la vraie richesse dans ce monde était les enseignements du dharma. Il n’avait pas à prêcher ou à essayer de convaincre d’une manière fanatique par une sorte de lavage de cerveau enflammé, mais cela se passait comme ça, parce que lui-même avait une si haute considération pour les enseignements les plus profonds, il transformait ma perception. Une fois, je suis resté pendant un mois avec lui et j’ai changé. Bien sûr, j’ai changé dans l’autre sens un peu plus tard, mais pendant que j’étais là-bas, je me sentais très différent. »

Un conseil final pour les retraitants

« Vous êtes si fortunés. Vous avez été en quelque sorte infusés, saturés par le Buddhadharma, pas sous la forme de livres, de notes, d’enregistrements ou n’importe quoi d’autre de ce genre, mais quelque chose est désormais présent en vous. C’est ce que vous devriez chérir, c’est le dharma de réalisation, pas un dharma scriptural, ni un dharma verbal, mais un dharma de réalisation, quelque chose que vous avez en vous désormais sous la forme des sept nobles qualités, de la septuple noble fortune. S’il vous plaît, chérissez-le. Ne l’ignorez pas, ne l’oubliez pas, mais prenez-le avec vous partout où vous allez, ce qui est déjà en vous.

Le mieux, c’est si vous pouvez être plus normaux que les gens normaux. L’entraînement du dharma, c’est de s’entraîner à être une personne ‘normal’, pas une personne anormale. C’est juste, non ? Nous entendons toujours, encore et encore, l’expression ‘être naturel’, n’est-ce pas ? Soyez vous même. Soyez comme vous êtes, comme cela est. Votre nature comme elle est. C’est ce qui est dit encore et encore. Ne soyez pas forcés, contraints ; soyez naturels.

Et si vous regardez autour de vous dans ce monde, cette qualité naturelle, normale, est plus lumineuse que n’importe quoi d’autre, que la gloire, la puissance, la richesse et tout ce genre de choses. Sans cette qualité naturelle intérieure, le pouvoir et la fortune et ce genre de choses n’ont aucune valeur.

Vous avez été sous la protection de l’amour et de la gentillesse de Sogyal Rinpoché pendant trois ans et vous vous êtes concentrés seulement sur ce point principal, devenir un véritable être humain, véritablement humain. Et, au final, c’est tout ce que le Dalaï Lama enseigne.”

mercredi 11 novembre 2009

LE LIVRE DES MORTS TIBETAIN de Padmasambhava


C’est un ouvrage étrange et passionnant qui nous parvient aujourd’hui plus de treize siècles après avoir été composé par le grand saint et mystique Indien Padmasambhava qui apporta le bouddhisme au Tibet au VIIIe siècle, et sa découverte au XIVe siècle par le yogi Karma Lingpa.
Le « Bardo Thödröl Chenmo », plus connu en Occident sous le titre « Le livre des morts tibétain » est enfin entièrement disponible en français grâce à la traduction de Philippe Cornu, enseignant à l’INALCO (Langues O) et auteur de plusieurs ouvrages sur le bouddhisme dont en particulier le « Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme ». L’intérêt de cette traduction est non seulement de fournir pour la première fois en français l’ensemble des textes qui composent le Bardo Thödröl, mais aussi, grâce à la préface de Mathieux Ricard et aux explications de Philippe Cornu, de replacer cet ouvrage au cœur de sa perceptive spirituelle véritable, c’est à dire sa relation avec les tantras anciens et le dzogchen. L’ouvrage fourmille en effet de clefs pour comprendre les aspects complexes de la conception philosophique et des pratiques du bouddhisme tibétain. L’introduction générale et les présentations qui précèdent chaque chapitre sont particulièrement éclairantes à la fois pour les néophytes désireux de découvrir cet ouvrage fondamental et pour les pratiquants du tantrisme et du dzogchen.

« Le livre des morts tibétain » est un cycle d’enseignements sur ce que l’on pourrait appeler les entre-deux, ou les intervalles, qui rythment notre existence, de notre naissance aux états post mortel. Selon la conception du bouddhisme vajrayana, l’existence se divise en une série de périodes qui offrent des opportunités pour échapper aux souffrances du samsara et avancer sur la voie de la libération. Après la mort physique et la dissolution des éléments fondamentaux, un autre voyage commence pour le continuum d’expériences qui constituent notre conscience. Ce flux d’expériences formé à partir de notre karma passe alors par plusieurs étapes que le Bardo Thödröl décrit avec force détails. La claire lumière fondamentale émerge dans la conscience du défunt suivie par les sons, lumières et rayons, puis les visions des déités paisibles et courroucées. C’est le bardo de la réalité. Bien que ces déités ne représentent que l’aspect de calme et de mouvement de l’esprit, leur déploiement constitue pour les individus qui ne s’y sont entrainés de leur vivant une expérience terrifiante et dramatique. Enfin, la conscience se retrouve sous la forme d’un corps mental dans l’état du bardo du devenir où elle erre pendant une période pouvant aller jusqu’à sept semaines avant de s’incarner à nouveau dans l’un des six modes d’existence du samsara en fonction de ses propensions karmiques.
Pourtant, loin de proposer uniquement une description des états post mortel, le Bardo Thödröl expose aussi un ensemble de pratiques spirituelles extrêmement puissantes pour se préparer dès maintenant à affronter le moment de vérité que constitue notre mort.
Le livre comporte ainsi des pratiques de Guru Yoga, de purification associant les cent déités paisibles et courroucées sous la forme de saddhanas de type Mahayoga ou Anuyoga et des pratiques de confession.
Un des chapitres les plus mystérieux du cycle est sans nulle doute celui décrivant les signes annonciateurs de la mort. Ces signes, qui vont de l’observation de la forme de son ombre dans le ciel à plusieurs signes physiques ou comportementaux, présentent un grand intérêt pour les pratiquants des tantras et du dzogchen. S’il les remarque, le yogi pourra tenter un certain nombre de rituels visant à repousser une mort prématurée. Ces méthodes, comme la formation d’une effigie de terre glaise avec des éléments du corps, ressemblent à s’y méprendre à une forme de coup du bonneteau pour leurrer à la mort. D’ailleurs, la section détaillant ces méthodes s’intitule « Tromper la mort, la libération naturelle de la peur ». Mais dans le cas où les rituels échouent, la mort est certaine ; il faut se préparer à partir.

Le chapitre sur « La libération naturelle de l’attention par le transfert de conscience » aborde trois sortes de pratique de transfert de conscience ou p’owa (transfert du dharmakaya, du sambhogakaya et du nirmanakaya) dans leur aspect d’entraînement durant la vie et leur aspect effectif, c’est à dire au moment crucial de la mort. Il est évidemment fondamental de s’être entraîné sa vie durant à la pratique du Guru Yoga, l’intégration avec l’état du maître, ou au transfert dans la déité d’élection. Pour autant, le texte mentionne des possibilités pour les personnes ignorantes de toute pratique et au karma très lourd. Il faut alors prononcer à haute voix à leur intention le nom du bouddha Ratnashikhin qui a fait jadis la promesse de libérer des destinées inférieures tous ceux qui entendraient son nom au moment de mourir.

Enfin, dans la conclusion rédigée par le traducteur, « Le livre des morts tibétain » dévoile son ultime secret, celui d’une perspective de l’existence totalement renouvelée qui dépasse de loin le cadre étroit de cette vie au demeurant bien trop courte. Le message fondamental que nous adresse Padmasambhava par delà les siècles est qu’il nous est possible d’atteindre la liberté de l’Eveil et que nous pouvons nous affranchir à jamais de la souffrance. Il nous faut pour cela reconnaître la vraie nature de notre esprit et apprendre à y demeurer. En suivant les conseils d’un maître authentique, symbole et incarnation de notre nature lumineuse, et en appliquant avec diligence les enseignements tantriques et dzogchen, nous pourrons finalement parvenir à l’Eveil afin de secourir tous les êtres prisonniers du samsara.

Marc Sinclair

LE LIVRE DES MORTS TIBETAIN. Bardo Thödröl Chenmo
Padmasambhava
Edition Buchet-Chastel, 35 euros, 779 pages.